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LA MAISON EST EN CARTON*

La rengaine enfantine participe du processus de construction de l’identité, par le biais de l’activation de l’imaginaire et de la pensée magique. Le jeu chez l’enfant, en investissant le faire, le parler et le regarder, forme un seuil par delà lequel il pourra se familiariser avec le monde de l’adulte, ses codes, ses outils…

Chez Claire Le Breton, s’il n’est pas directement question d’enfance – quoique –, l’identité de l’artiste s’élabore autour d’une réactivation de processus similaires.

Ici, le déplacement du jeu – et de ses corollaires – dans le monde de l’adulte, est une façon de relire notre environnement, de s’y confronter pour mieux le comprendre, de le manipuler pour le voir et l’entendre avec une distance critique et créatrice.

Car l’objet de la création est bien de porter un regard sur le monde qui nous entoure ; un « ici et maintenant » qui dépasse cependant la seule relation au présent d’un environnement post industriel. Plutôt une temporalité qui porte en son sein le déplacement, le passage, l’intermédiaire – ceux de la pensée critique. L’ob-jouet est le support de ce mouvement incessant, sans cesse réactivé, d’une production à l’autre.

Matières à jouer

Alors qu’un bout de bouchon en liège peut aussi bien faire l’affaire… L’objet devient jouet dès lors que l’enfant y associe un processus symbolique de transformation.

On retrouve, en filigrane dans l’ensemble du travail de Claire Le Breton, la même politique de détournement. Dans un dialogue étroit avec l’histoire de la sculpture, l’utilisation de matériaux dits « pauvres » s’appuie sur un renversement possible de leurs qualités et de leurs propriétés premières. Dans A-chaise (2007), fragilité et précarité guident le geste du sculpteur qui propose alors un nouvel espace de perception et de questionnement à celui qui découvre son œuvre. Jouant sur un signe qui suppose une représentation partagée par tous (la chaise), l’artiste y associe foule de signifiés (repas, maison, bancal, cabane, sculpture…). Claire Le Breton déjoue ainsi, par la transformation effective et par le truchement du symbolique, le sens investi par le regardeur dans la matière.

Le jouet

Le jouet est un objet dans lequel l’enfant investit du sens, sur lequel il projette un discours, une narration.

Si l’idée du jouet est présente chez  Claire Le Breton à travers un ensemble de processus de travail, le jouet lui-même s’insinue régulièrement au cœur des pièces qu’elle produit. Une façon de divertir, au sens premier du terme – faire voir ailleurs, reporter l’attention sur autre chose : dans un double mouvement, Claire Le Breton peut en effet se saisir du jouet façonné industriellement, le détourner, le mouler, le reproduire… et porter ainsi un regard singulier sur le monde contemporain.

Car le jouet n’est pas autre chose qu’une reproduction d’objets du monde de l’adulte, à une échelle spécifique. Point de départ de l’élaboration d’une narration, une telle posture propose matière à réflexion : dans Trouver le bon titre (2012), Claire Le Breton invite au doute critique. S’agit-il d’avions-jouets, ou d’avions « réels » proposés à une petite échelle ? La représentation, dans le travail de l’artiste, est mise en question à partir de l’usage fait de l’objet-référent. Claire Le Breton casse nos jouets pour mieux déconstruire les processus de l’imagination.

Le terrain de jeu

Pour jouer avec ses jouets, l’enfant détermine inconsciemment un espace à l’intérieur duquel il évolue symboliquement.  Il façonne cet espace à sa manière.

Claire Le Breton s’intéresse justement à ce qui permet de façonner l’espace : avec Fonction /Format 3 (2006), elle investit un espace réel et le transforme pour faire sculpture. S’il s’agit d’inviter le regardeur à s’approprier l’ossature du lieu, le nouveau terrain de jeu ainsi produit acquiert un caractère de nouveauté à partir duquel une nouvelle histoire pourra s’inventer.

Il en va de même du paysage : avec Les transformeurs (projet en cours), l’artiste interroge ce que l’homme peut mettre en œuvre comme outil (engin) pour transformer tout en ne faisant que passer, à l’interstice entre actes de modelage (destruction) et traces.

Il en découle un dialogue entre paysage immédiat et paysage construit. Deux notions récurrentes dans le travail de Claire Le Breton. Mais jamais dissociées : dans ses Autographies (2011), elle agite le spectre de l’instantané. Mais derrière ces images de paysage prises depuis l’habitacle d’une voiture, se dessine la toile infinie des routes qui maillent le territoire et des véhicules qui les empruntent, transparaissent le rêve ou le cauchemar, selon que l’on associe à l’un ou à l’autre telle ou telle valeur symbolique.

Les règles du jeu

Magie de l’imagination, l’objet utilisé se transforme parfois en tout autre. Projection de l’imagination, il devient ce dont l’enfant a besoin dans le jeu.

Avec Trouver le bon titre (2012), Claire Le Breton s’appuie sur le postulat de règles partagées, de règles dont le public jouerait le jeu. Loin des très en vogue « interactivité avec le regardeur » ou « participation du visiteur », elle propose à celui qui le voudra bien de « trouver le bon titre », et donc, sous couvert de « participation », de mettre à l’épreuve son regard, son point de vue, ses outils critiques.

Au-delà du processus et des aboutissements singuliers de ce protocole, Claire Le Breton explore les sollicitations possibles, les interrelations potentielles… sous le signe du déplacement.

Le but, l’objectif, le gain, le jouet

Mais qu’est-ce qu’il y gagne, celui qui joue ?

C’est justement à travers cette notion de déplacement que l’un des enjeux majeurs du travail de Claire Le Breton se situe.

Avec Réversible #1 (2015), le dernier opus produit, elle s’approche encore un peu plus d’une proposition de glissement du regard. Au delà de la narration, les interrogations surgissent dans les interstices du ludique. Le carton d’emballage devient totem, par des assemblages simples. Le regardeur s’y retrouve, s’y repère, et peu à peu se laisse aller à fabriquer consciemment du sens à partir du glissement de son point de vue.

 

Marie Bazire

Pour echo(e)s (art contemporain, diffusion, édition, commissariat d’exposition), avec Sandra Mellot pour les corrections

 

* « Il était un petit homme », comptine pour enfants de Gabrielle Grandière, 1951.