Dans le cadre du projet « S’emparer du paysage » / Lycée du Bois / Envermeu
Exposition au Musée de l’Horlogerie / Saint-Nicolas d’Aliermont
Lorsque l’on songe à l’horlogerie, ce sont d’abord des matières métalliques, des engrenages, qui nous viennent à l’esprit. Et pourtant… les premiers rouages étaient en bois.
Saint-Nicolas d’Aliermont appartient à un paysage sylvestre. La production des horloges Saint-Nicolas en ce territoire n’est pas un hasard, mais découle d’anciennes activités, telles la chaudronnerie et l’ébénisterie. Grâce aux forges et à la forêt sont nées les horloges Saint-Nicolas, faites de mouvements métalliques enchâssés dans de délicats corps de bois sculptés. Le travail du bois est un savoir-faire fin et délicat, tout comme l’horlogerie.
Afin de se remémorer cette activité ancienne et de la lier au présent, le Musée de l’Horlogerie s’est associé au Lycée du Bois, à Claire Le Breton, artiste plasticienne en résidence dans l’établissement, et Bertrand Lacourt, ébéniste. Bois, papier, deux matières organiques dont l’une est à l’origine de l’autre. Ce projet permet de lier notre environnement direct, auquel on ne prête parfois pas assez attention, au travail du bois et d’une de ses matières dérivées, le papier.
À Saint-Nicolas d’Aliermont, le temps a fait son œuvre et a scellé le sort d’un des séquoias centenaires de la ville. Plantés par Onésime Dumas, chronométrier de renom, durant la seconde moitié du 19e siècle, ces arbres ont dominé le paysage du haut de leurs 30 mètres. L’un d’eux, malade et menaçant, a été abattu en mars 2016. C‘est de ses restes qu’est né Onésime, pièce qui rappelle par sa forme l’élégance des « demoiselles ».
Monoxyle avoisinant les 100 kg, Onésime a été taillé à la scierie du Lycée du Bois, grâce au travail conjoint des élèves, de Claire Le Breton et de Bertrand Lacourt, puis terminé dans l’atelier parisien de l’ébéniste. Il symbolise une grande partie de l’histoire horlogère de la ville : l’importance du bois et l’ébénisterie trop méconnue, la révolution industrielle et le nom d’une figure notable aliermontaise, l’apprentissage et l’artisanat d’art. Le paysage est modifié par l’histoire et l’humain, et Onésime nous offre un morceau de cette impact.
Lettre lue lors de l’inauguration :
Saint Nicolas d’Aliermont
7 juillet 2017
Cher Monsieur Onésime Dumas,
Permettez-moi tout d’abord de me présenter : Claire Le Breton, artiste plasticienne havraise. J’ai été invitée au Lycée des métiers du bois et de l’éco-construction d’Envermeu pour une résidence de création artistique. Ce type d’école ne devait surement pas exister en votre temps.
Ce n’est pas sans émotion que je vous écris afin de vous apprendre que le Séquoia géant (Sequoiadendron giganteum) que vous aviez planté a malheureusement été abattu pour cause de maladie le 31 mars 2016. Acheminé en mai à la scierie d’Envermeu, c’est là que j’ai découvert pour la première fois cette imposante grume de bois rosée, jonchée au sol. J’étais accompagnée de l’artisan ébéniste-bûcheron Bertrand Lacourt, qui s’est joint au projet et a pu partager avec les élèves sa pratique de taille de mobilier “monoxyle”. Nous avons découvert, au hasard d’un détour par le Musée de l’Horlogerie, l’impressionnante souche de 3,50 mètres de diamètre devant votre château.
C’est ainsi qu’a débuté notre enquête créative… En novembre, nous avons récupéré un ‘petit’ morceau de ce géant et entamé réflexions et esquisses. Mon intuition me disait que, de ce bout de Séquoia devait émerger une ‘sculpture horlogère’ en lien avec le musée. Je souhaitais faire référence aux horloges à « têtes fleuries », ces longues “demoiselles” produites à Saint-Nicolas d’Aliermont. De même, j’imaginais que cohabitent une création en papier de soie blanc inspirée d’objets du musée, et cette essence exotique. Nous avons rapidement décidé que la sculpture se nommerait “Onésime”.
Sans le savoir, nous avons actionné la mécanique des souvenirs et fait revivre votre mémoire, faisant confiance à notre intuition, sentant qu’il y avait un fil à dérouler. Le luxe du temps, des rencontres, des recoupements d’informations ont fait opérer une certaine alchimie.
Sachez, Monsieur, que vous être devenu le LIEN entre nombre d’éléments que je tentais de faire cohabiter lors de la création d’un objet : l’arbre et le bois, le lycée, la scierie, le musée, les horloges, le temps, les cycles, la marine, les voyages, les échanges, les perpétuels mouvements et les rencontres.
En travaillant cette essence, née de votre main, nous avons découvert un bois très rosé, léger, fragile. La tendresse de ses tissus nous a permis de révéler les impressionnantes cernes dues à la rapidité de croissance de l’arbre. Au cœur du volume est suspendue une empreinte en papier blanc aux allures baroques réalisée à partir d’une pendule de cheminée. Cette sculpture légère n’est en aucun cas un instrument de mesure du temps. Elle tente à sa manière d’évoquer un instant suspendu, un temps qui flotte, peut-être une rêverie, malgré les secondes qui s’égrènent inexorablement…
Nous nous languissons désormais d’en découvrir plus sur votre vie. Est ce vous qui avez rapporté ces graines d’un voyage, ou est-ce un cadeau qui vous avait été fait ? Vos chronomètres ont-t-il équipé le bateau qui a transporté ces graines, qui sait jusqu’au port de Dieppe?
J’espère, très cher Monsieur, que vous vous amuserez d’apprendre qu’une petit bout de votre séquoia, destiné à agrémenter votre propriété il y a plus d’un siècle et demi, aura stimulé notre imaginaire de sculpteurs et abouti à cette étonnante création.
Cordialement,
Claire Le Breton.
Cette création a vu le jour grâce à l’implication de diverses personnes que je tiens à remercier particulièrement : Marion Quibel (enseignante socio-culturel) incitatrice et coordonnatrice de tout le projet, Bertrand Lacourt pour son implication et son enseignement précieux, Pascale Robillard, Jean-Louis à la scierie pour le déplacement des grumes avec son “manitou”, Julien et les élèves de Terminale “forêt”, Marc Limare et ses élèves pour les coups de tronçonneuse, toute l’équipe enseignante et plus particulièrement Monsieur Renaux pour sa confiance, Hélène du Mazaubrun, Maïté Ducornetz, Julie Blard, et toute l’équipe du Musée de l’Horlogerie pour leur écoute et accompagnement, ainsi qu’ Olivier Penamen (enseignant au lycée du bois qui nous révéla l’identité du planteur de Séquoia) et Monsieur Rohr (botaniste/spécialiste des arbres remarquables) pour les précisions apportées sur l’essence de Séquoia.